La chasse a poussé certaines espèces à l’extinction. A titre d’exemple, on peut citer le pigeon migrateur américain, Ectopistes migratorius, qui était certainement l’une des espèces les plus abondantes que l’homme ait connu au monde. Chassée sans mesure, cette espèce s’est éteinte en un siècle d’exploitation1. Inquiets de voir disparaitre leur gibier, les chasseurs ont donc mis en place des pratiques de renforcement cynégétique*. Des individus d’origine captive sont alors introduits dans la faune sauvage. L’objectif de cette pratique est de permettre aux chasseurs de maximiser les prélèvements d’animaux sans affecter l’espèce irrémédiablement, dans le but d’avoir du gibier chassable toujours disponible2.

Il existe deux types de renforcement des populations chassées (ou lâcher de gibier) :

  • Soit l’objectif est d’accroître un temps ou durablement les populations chassées et on parle plutôt de « repeuplement » ou de réintroduction si l’espèce a disparu3.
  • Soit l’objectif est seulement d’augmenter chez des populations viables la quantité d’animaux chassables à un instant t4 dans le seul but de satisfaire les tableaux de chasse.

Dans les deux cas, l’homme modifie la dynamique des populations5 et les conséquences sont loin d’être négligeables à la fois concernant les animaux relâchés et ceux qui vivent à l’état naturel.

*Qui se rapporte à la chasse.

Sommaire

Des individus relâchés (le “gibier”) inadaptés à la vie sauvage

Des populations sauvages mises en danger suite aux lâchers de leurs congénères d’élevage

Le repeuplement cynégétique : un risque sanitaire pour tout l’écosystème

Combien d’animaux d’élevage sacrifiés pour les chasseurs chaque année ?

Le lâcher de gibier : une réglementation aux contrôles incertains 


Des individus relâchés (le “gibier”) inadaptés à la vie sauvage

Des animaux stressés voués à la mort

Une mortalité accrue est observée avant même le lâcher ou durant les premières semaines qui suivent le lâcher et s’explique par le stress ressenti par l’animal6. Cette réaction de stress intense est normale chez des animaux capturés, transportés et lâchés dans un endroit totalement inconnu dans lequel ils ne savent ni s’abriter ni se nourrir.

Des animaux extrêmement vulnérables face à la prédation

Les animaux qui survivent au stress se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité face aux prédateurs résidents. Ces derniers peuvent profiter de cette situation anormale pour exercer une prédation excessive focalisée sur ces proies exceptionnellement faciles à attraper. Dans le cas d’une étude réalisée lors de l’introduction de lapins de garenne, parmi les 88 individus radiopistés, la prédation était incriminée dans 69 % des cas de mort suivant le premier mois du lâcher6.

Des animaux élevés en captivité dénués d’instinct sauvage

Des déficiences comportementales des individus lâchés issus de captivité sont courantes dans les programmes de renforcement7. Une perte de l’instinct migratoire a été observée chez des canards colverts lâchés8. Dans une autre étude, Osborne et al. (2010)9 ont observé que les canards lâchés étaient peu craintifs de l’homme et se concentraient dans les parcs urbains où ils sont nourris.

Une physiologie inadaptée à la vie sauvage

Dans le cas des canards colverts par exemple, le régime alimentaire en captivité étant constitué de nourriture artificielle, l’appareil digestif peut s’avérer inapte à digérer les ressources en milieu naturel10.

Une reproduction modifiée lourde de conséquences

Les modifications physiologiques et comportementales des individus introduits peuvent conduire à une capacité moindre à se reproduire dans le milieu naturel. Chez les faisans de colchide élevés en captivité par exemple, le faible succès à l’éclosion (22%) comparé à celui de faisans nés dans le milieu naturel (49%) est le fait d’un fort taux d’abandon du nid par les faisanes lâchées dénuées d’instinct de couvaison11. Chez les colverts, la seule étude sur le sujet a montré que les testicules des mâles en captivité sont plus petits que ceux des mâles sauvages, conduisant à une diminution de la reproduction12.

Au contraire, entre 1970 et 1990, des dizaines de milliers de sangliers d’élevage croisés avec le porc ont été introduits pour les chasseurs. Le taux de fécondité de ces cochongliers a au moins doublé, leur taux de croissance triplé, et leur maturité sexuelle a été avancée induisant une prolifération sans précédent de cette espèce. Nous sommes ainsi passés de 50.000 sangliers abattus en 1975 à environ 700.000 aujourd’hui !!13, 14, 15

Des populations sauvages mises en dangers suite aux lâchers de leurs congénères d’élevage

Une pollution génétique qui peut conduire à l’extinction de la population sauvage

Les inadaptations comportementales et physiologiques des individus relâchés peuvent se transmettre aux populations sauvages : c’est ce qu’on appelle la pollution génétique.

Le croisement d’individus provenant de différentes populations peut conduire à des flux de gènes (= introgression) entre les populations et donc à des modifications physiologiques et comportementales des populations sauvages. Des effets génétiques ont ainsi été clairement mis en évidence dans le cas de lâchers de perdrix rouges dans les secteurs à perdrix bartavelle et de lâchers de perdrix grises à profil génétique de plaine dans des zones de montagne16. Deux études montrent même que l’introgression pourrait conduire à l’extinction de populations natives17,18.

Un risque de surchasse chez des populations sauvages menacées

Lors de repeuplement, le plan de chasse initial (établi en regard de la population naturelle) est souvent augmenté d’un « bonus » correspondant à un pourcentage d’animaux lâchés, mais le quota de prélèvement reste purement quantitatif, indépendamment de l’origine sauvage ou d’élevage des animaux tirés. Il s’en est suivi des dépassements de quota sur les animaux naturels. De tels « sur-prélèvements », peuvent être dommageables chez des populations menacées19,20.

Ainsi, la constitution de populations «mixtes» (mélange d’individus sauvages et lâchés) n’est pas un modèle à suivre. De plus, le recours possible à des lâchers de chasse provoque le désintérêt des chasseurs pour la gestion des populations sauvages et des milieux, tout en les habituant à des tableaux de chasse élevés. Cela peut entraîner la quasi disparition des populations naturelles, même dans des secteurs où elles pourraient se maintenir.

Le repeuplement cynégétique : un risque sanitaire pour tout l’écosystème

Les conséquences sanitaires des lâchers sont souvent négligées, alors que les risques de transfert de maladies et de parasites sont réels21. Dans les élevages, les conditions sont propices au développement d’agents infectieux tels que les virus et les bactéries, générant parfois l’apparition de souches particulièrement virulentes22,23. Les vecteurs de certaines maladies étant absents du site avant le lâcher, les populations sauvages peuvent ne pas disposer d’immunité24. Le renforcement de perdrix rouges et de lapins serait ainsi responsable respectivement de la transmission de vers parasites et de gale sarcoptique dans la population cible25,26.

Le renforcement cynégétique (ou lâcher de gibier), une pratique dangereuse pour la faune et tout l’écosystème :  à bannir !

Combien d’animaux d’élevage sacrifiés pour les chasseurs chaque année ?

En France on tue à la chasse au fusil 45 millions d’animaux chaque année.
Près de 21 millions d’animaux proviennent d’élevages et sont lâchés pour la chasse, ce qui représente 46% des animaux tués.
Il existe en France plus de 1500 sociétés d’élevage de petit et gros gibiers (1). Elles vendent leur production aux diverses sociétés de chasses (fédérations, chasses privées, professionnelles, etc…)

Sont élevés dans ces structures :
• FAISANS : 14 millions (1)
• PERDRIX GRISES – PERDRIX ROUGES : 5 millions (1)
• CANARDS COLVERTS : 1 million (1)
• LIEVRES : 40 000 (1)
• LAPINS DE GARENNE : 100 000 (1)
• SANGLIERS : Environ 40 000 (source ONCFS) (2)
• CERFS : 15 000 (2)
• DAIMS : 22 000 (2)
• CHEVREUILS : 7 000 (2)
• MOUFLONS : 2 500 (2)

Alors, les chasseurs : des régulateurs ?

(1) Source SNPGC
(2) Source ONCFS

Le lâcher de gibier : une réglementation aux contrôles incertains  

Les règles relatives aux lâchers de gibier sont obligatoirement reprises(1) dans le schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC) rédigé par chaque Fédération départementale des chasseurs.

Pour le grand gibier et les lapins de garenne : une autorisation préfectorale

C’est le Préfet du département du lieu du lâcher (4) qui donne ou non l’autorisation de toute introduction de ces animaux, après instruction de la demande et consultation de la Fédération Départementale des Chasseurs. Son refus peut résulter de motifs liés à la santé humaine ou animale, ou à la sécurité.
Cette demande est individuelle et précise la finalité de l’introduction, les quantités et les âges des espèces à réintroduire, les périodes d’introduction,  ainsi que la provenance des animaux (identité des élevages).

Non respect et sanctions : Une contravention de la 5e classe (soit 1 500 €) (Art. R. 428-11 C) est prévue en cas de lâchers sans autorisation préfectorale.

On s’interroge sur le mode et la fréquence des contrôles des lâchers autorisés par le Préfet.
Ce sont au vu des dégâts occasionnés que certaines enquêtes sont ouvertes. La Charte de qualité du sanglier recommandée par le SNPGC aux éleveurs traduit la préoccupation du Syndicat face aux dérives potentielles de mutation de l’espèce sauvage (8)

Le petit gibier à plumes : des contraintes limitées aux éleveurs

Aucune autorisation du Préfet n’est exigée, car les lâchers de petits gibiers à plumes sont autorisés en tout temps. En vue de limiter le risque de transmission de la “grippe aviaire” par des oiseaux vivant à l’état sauvage, les lâchers de gibier à plumes par les éleveurs doivent faire l’objet  :

  • d’un enregistrement documentaire au sein de l’élevage.
  • de l’attribution par la DDT d’un numéro d’immatriculation(5).pour certains gibiers à plumes
  • de la tenue d’un registre de mouvements d’entrées et de sortie des oiseaux précisant diverses informations (date, espèce, nombre, coordonnées du fournisseur et du destinataire, adresse du lieu de lâcher).

Incroyable mais vrai ! Un contrôle, oui mais pas pour les associations de chasse !

En effet, c’est uniquement au niveau de l’éleveur originel que doivent être appliquées les obligations, tant sur la qualité des oiseaux que sur la tenue d’un registre d’entrée et de sortie.

Ces obligations ne s’appliquent pas aux associations de chasse qui achètent à un éleveur des oiseaux prêts à l’envol et les introduisent en volière de pré-lâcher ou volière anglaise ! La société de chasse peut donc lâcher des oiseaux d’élevage sans disposer d’un certificat de capacité et d’une autorisation d’ouverture et ce quel que soit le nombre d’oiseaux.

Non respect et sanctions : Une contravention de 4ème classe (soit 135 €) (R. 428-17 C. Env.) est prévue en cas de  lâcher interdit dans le cadre d’un arrêté de police ou dans le cadre d’une mesure de gestion.

On peut s’interroger sur le contrôle exercé sur les associations de chasse ; les lieux de  lâchers, la taille des espèces lâchées, et les conditions de pré lâchers sont-elles contrôlées et réglementées ?

Les Chartes de qualité des faisans et des perdrix recommandées par le SNPGC aux éleveurs traduisent pour leur part la préoccupation du Syndicat du respect des conditions sanitaires et des âges minimum d’introduction (15 semaines mini pour les perdrix et 19 semaines pour les faisans) (9)

Pour en savoir plus

Art. L. 425-2 C. Env.
2. Arrêté du 7 juillet 2006 portant sur l’introduction dans le milieu naturel de grand gibier ou de lapins et sur le prélèvement dans le milieu naturel d’animaux vivants d’espèces dont la chasse est autorisée.
3. Arrêté du 12 mai 2006 modifié fixant les mesures sanitaires applicables aux élevages de gibier à plumes destiné à être lâché dans le milieu naturel et au lâcher de ce gibier.
4. Art. L 424-11 C. Env.
5. Arrêté du 28 Février 1962 modifié relatif à la mise en vente, vente, achat, transport et colportage des animaux de mêmes espèces que les différents gibiers, nés et élevés en captivité.
6. Art. R. 427-26 C. Env.
7. PJ : Demande d’autorisation d’introduction ou de prélèvement de gibier dans le milieu naturel  (Arrêté interministériel du 7 juillet 2006 portant sur l’introduction dans le milieu naturel de grand    gibier ou de lapins et sur le
8. SNPGC – Charte de qualité du sanglier
9. SNPGC – Charte de qualité du faisan et de perdrix
Source : ONCFS – article paru dans la Revue nationale de la chasse n° 755 – Août 2010, p.20.

Références de l’article

  1. Halliday, T. 1980. The extinction of the passenger pigeon Ectopistes migratorius and its relevance to contemporary conservation. Biological Conservation, 17, 157-162.
  2. Reynolds, E., Blohm, J., Nichols, D. & Hines, E. 1995. Spring-summer survival rates of yearling versus adult mallard females. Journal of Wildlife Management, 59, 691-696.
  3. Bro, E., Mayot, P. & Mettaye, G. 2006. Opérations de repeuplement en perdrix sans arrêt de la chasse : quel impact sur les populations ? Quelques éléments de réflexion sur ce mode de gestion mixte. Faune Sauvage, 274, 34-39.
  4. Sokos, C.K., Birtsas, P.K. & Tsachalidis, E.P. 2008. The aims of galliforms release and choice of techniques. Wildlife Biology, 14, 412-422.
  5. Watson, M., Aebischer, N.J., Potts, G.R. & Ewald, J.A. 2007. The relative effects of raptor predation and shooting on overwinter mortality of grey partridges in the United Kingdom. Journal of Applied Ecology, 44, 972-982.
  6. Repeuplements de lapins de garenne : enseignements des suivis par radio-pistage. faune sauvage n° 274/décembre 2006
  7. Rantanen, E.M., Buner, F., Riordan, P., Sotherton, N. & Macdonald, D.W. 2010a. Vigilance, time budgets  and  predation  risk  in  reintroduced  captive-bred  grey  partridges Perdix perdix. Applied Animal Behaviour Science,127, 43-50.
  8. Brakhage, K.  1953.  Migration  and  mortality  of  ducks  hand-reared  and  wild-trapped  at Delta, Manitoba. Journal of Wildlife Management,17, 465-477.
  9. Osborne, E.,  Swift,  B.L.  &  Baldassarre,  G.A.  2010.  Fate  of  captive-reared  and  released mallards on eastern Long Island, New York. Human-Wildlife Interactions,4, 266-274.
  10. Liukkonen-Anttila, T., Saartoala, R. & Hissa, R. 2000. Impact of hand-rearing on morphology and physiology  of  the  capercaillie  (Tetrao  urogallus). Comparative  Biochemistry  and Physiology – Part A: Molecular & Integrative Physiology,125, 211-221.
  11. Sage, ,  Putaala,  A.,  Pradell-Ruiz,  V.,  Greenall, T.,  Woodburn,  M.  &  Draycott,  R.  2003. Incubation success of released hand-reared pheasants Phasianus  colchicus compared with wild ones. Wildlife Biology,9, 179-184.
  12. Stunden, E.,  Bluhm,  C.K.,  Cheng,  K.M.  &  Rajamahendran,  R.  1999.  Factors  affecting reproductive performance in captive mallard ducks. Theriogenology,435-446, 52.
  13. Athanaze Pierre, 2011, Le livre noir de la chasse,
  14. Sang de la terre. Bouldoire J-L, Vassant J.,1957,
  15. Le sanglier, Hatier. Charollois Gérard, 2013, Pour en finir avec la chasse, IMHO.
  16. ONCFS, 2005. Outil moléculaire & gestion de la faune sauvage. Faune sauvage 265, N° spéc. Génétique. 80 p
  17. Saltonstall,   2002.  Cryptic  invasion  by  a  non-native  genotype  of  the  common  reed, Phragmites  australis,  into  North  America. Proceedings  of  the  National  Academy  of Sciences of the United States of America,99, 2445-2449.
  18. Hegde, S.G., Nason, J.D., Clegg, J.M. & Ellstrand, N.C. 2006. The evolution of California’s wild radish has resulted in the extinction of its progenitors. Evolution,60, 1187-1197.
  19. Opérations de repeuplement en perdrix sans arrêt de la chasse : quel impact sur les populations ? faune sauvage n° 274/décembre 2006
  20. Ponce-Boutin F., Brun J.C., Mathon J.F. & J.C. Ricci (2006) – Propositions pour une gestion durable des populations de Perdrix rouge. Quelle place pour les lâchers ? Faune sauvage 274 : 48-55.
  21. Bro, E., Terrier, M.-E., Soyez, D., Berny, P., Reitz, F. & Gaillet, J.-R. 2004. Faut-il s’inquiéter de l’état sanitaire des populations de perdrix grises sauvages ? Faune Sauvage 261 : 6-17
  22. Lebarbenchon, C., Brown, S.P., Poulin, R., Gauthier-clerc, M. & Thomas, F. 2008. Evolution of pathogens in a man-made world. Molecular Ecology,17, 475-484.
  23. Mennerat, ,  Nilsen,  F.,  Ebert,  D.  &  Skorping,  A. 2010.  Intensive  farming:  evolutionary implications for parasites and pathogens. Evolutionary Biology,37, 59-67.
  24. UICN Lignes  directrices  relatives  aux  réintroductions.  Groupe  spécialistes  de  la réintroduction de la Commission de la sauvegarde des espèces de l’UICN, Gland, Suisse.
  25. Villanúa, D., Pérez-Rodríguez, L., Casas, F., Alzaga, V., Acevedo, P., Viñuela, J. & Gortázar, C. 2008. Sanitary risks of red-legged partridge releases: introduction of parasites. European Journal of Wildlife Research,54, 199-204.
  26. Navarro-Gonzalez, N., Serrano, E., Casas-Díaz, E., Velarde, R., Marco, I., Rossi, L. & Lavín, S. 2010. Game restocking and the introduction of sarcoptic mange in wild rabbit in north-eastern Spain. Animal Conservation,13, 586-591.

 

 

 

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