Le préfet de la Haute-Savoie soumet à la consultation du public un projet d’arrêté autorisant l’abattage de bouquetins situés sur le massif du Bargy, atteints de brucellose.
Le projet d’arrêté autorisant, sur le massif du Bargy, la capture, l’euthanasie de bouquetins séropositifs en vue de la constitution d’un noyau sain et en vue de sa surveillance, et ordonnant le prélèvement de bouquetins non testés séronégatifs présents sur les secteurs «Grand Bargy», «Petit Bargy» et «Jalouvre Peyre» est consultable ici.

Envoyez votre avis à ddt-consultations-publiques@haute-savoie.gouv.fr AVANT LE 23 OCTOBRE AU SOIR

 

Vous pouvez lire ci-dessous la  réponse collective des associations Animal Cross, ASPAS, France Nature Environnement, FRAPNA, LPO, Humanité & Biodiversité, Mountain Wilderness, One Voice, WWF

 

Madame, Monsieur,

Une demande a été adressée par la préfecture de Haute-Savoie au ministre chargé de l’Écologie en vue d’obtenir une dérogation pour la capture par télé-anesthésie et l’euthanasie éventuelle de spécimens de Bouquetins des Alpes dans le massif du Bargy, ainsi que pour le prélèvement, c’est-à-dire l’abattage, d’un certain nombre de bouquetins dans la zone coeur du massif.
La deuxième partie de cette demande porte sur l’abattage d’un maximum de 20 individus d’ici à la fin 2017. Dans le cadre de ces opérations, les individus ne seront pas capturés en vue d’être testés, mais abattus à distance puis feront l’objet d’un contrôle sanitaire post-mortem.
Le comité permanent du CNPN a émis un avis positif le 21 septembre 2017. Nous sommes en désaccord avec le contenu de cet avis pour la partie portant sur l’abattage d’individus non testés.
En conséquence, nous marquons également notre désaccord avec la formulation du projet d’arrêté préfectoral tel qu’il est soumis au public du 9 au 23 octobre 2017, pour cette partie également.
Nous avons pu prendre connaissance des dernières avancées en matière de suivi populationnel et épidémiologique, de spatialisation des hardes, de mouvements inter-secteurs et inter-massifs, de test d’innocuité vaccinale. Grâce aux travaux de l’ANSES, de l’ONCFS, des laboratoires vétérinaires, et d’autres, nous en savons certainement plus aujourd’hui sur ce “cas Bargy” que sur aucun autre cas d’épizootie brucellique affectant l’espèce Bouquetin des Alpes. Parmi les avancées et enseignements majeurs documentés depuis maintenant cinq ans, nous en retenons plusieurs qui fondent nos prises de position :
 La démonstration de l’efficacité d’un test de dépistage brucellique in situ ;
 La mise en évidence d’une spatialisation des hardes, notamment pour les femelles et les cabris, conduisant à de forts écarts de prévalence entre secteurs géographiques ;
 La bonne connaissance du niveau de population, à savoir environ 300 à 350 individus selon les derniers comptages, hors cabris de l’année 2017 ;
 L’affirmation de la réduction drastique du volume du foyer infectieux, du fait de l’abattage à ce jour de 460 bouquetins sur les 600 que comptait le massif au début des opérations ;
 La reconnaissance très claire de l’inefficacité – voire du caractère absolument contre-productif – des abattages indiscriminés, lesquels déstructurent les hardes en donnant accès à la reproduction, avec des risques de contamination croisée, à un plus grand nombre d’individus ;
 Pour la première fois, l’indication que certains individus testés séronégatifs, et donc marqués, seraient porteurs d’un gène de résistance à la brucellose ;
 Parmi les solutions combinant plusieurs mesures, la conclusion que celles incluant la vaccination des bouquetins offriraient une probabilité accrue de maîtrise sanitaire ;
 L’affirmation scientifique unanime d’un risque extrêmement faible de contamination interspécifique par l’agent bactérien ;
 L’évaluation par l’ANSES de différents scénarios et des probabilités, pour chacun d’entre eux, de conduire à une résorption, voire une éradication à terme de l’épizootie ;
 L’occurrence d’un seul cas en 18 ans, cas dont l’origine est d’ailleurs scientifiquement incertaine, avec une équiprobabilité qu’il s’agisse d’une infection congénitale bovine ou bien d’une contamination par un bouquetin via un animal tiers ;
 Et enfin l’absence d’urgence à agir, la démarche à conduire devant être constituée d’une combinaison de mesures mises en oeuvre sur plusieurs années (> 5 ans).
Prenant en compte l’ensemble de ces éléments, nous sommes fondés à affirmer qu’il est tout à fait possible et souhaitable que les animaux sains soient préservés. Possible car les effectifs concernés ont été considérablement réduits par les mesures prises jusqu’ici, et du fait des avancées dans les connaissances scientifiques, populationnelles et épidémiologiques. Souhaitable car ce “cas Bargy” constitue un apprentissage collectif de lutte contre une zoonose qui pourrait fort bien, ce que nous ne souhaitons pas bien entendu, se produire sur un autre massif. Souhaitable car nous sommes capables, collectivement, d’aboutir à une “sortie par le haut” dans une affaire dont la gestion initiale peut faire l’objet de critiques fondées.
Nous ajouterons ici que l’abattage d’une vingtaine d’individus ne constitue en aucune manière une démarche scientifique. En effet, selon que les agents de l’ONCFS finiraient par abattre une majorité d’individus séropositifs – ou pas – les conclusions qui en seraient tirées pour la suite des opérations et le sort de la population restante seraient entachées de biais inacceptables. La vérification de la prévalence dans le coeur du massif doit selon nous être basée sur des captures à effectuer au printemps 2018. A cette date, nous souhaitons disposer d’un éclairage des experts de l’ANSES sur la combinaison de mesures incluant la vaccination des individus séronégatifs ; nous demandons à cet effet aux pouvoir publics de saisir l’ANSES afin que les experts soient mobilisés durant l’hiver 2017-2018.
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Mise à part cette partie de la demande portant sur l’abattage d’animaux non testés, nous marquons notre accord avec les autres mesures de gestions proposées dans le projet d’arrêté. Nous proposons ci-après quelques pistes complémentaires susceptibles d’en renforcer l’efficacité :
 Porter une meilleure attention à la mise en oeuvre effective des mesures de biosécurité : comme nous l’avons encore observé samedi dernier 14 octobre lors de notre dernier comptage, les troupeaux de caprins et d’ovins sont libres de parcourir l’ensemble des alpages jusqu’aux sommets du massif, occupant ainsi les mêmes territoires que les bouquetins. Le risque d’une contamination interspécifique est accru, alors qu’il serait au contraire nécessaire d’organiser une certaine ségrégation temporelle et spatiale des espaces alloués aux différentes espèces.
 Dans le même esprit, et puisque le truchement d’un canidé a été invoqué en tant que cause de la contamination de l’exploitation bovine du Chinaillon, interdire toute divagation de chiens sur le massif et imposer a minima qu’ils soient tenus en laisse : qu’il s’agisse des chiens de randonneurs ou de familles, ou encore de ceux des chasseurs, nombreux sont les canidés parcourant sans contrainte les espaces supposés contaminés par la brucellose.
 Que des moyens supplémentaires soient affectés à la capture de bouquetins, notamment d’autres agents spécialisés issus de parcs régionaux ou nationaux, de manière à augmenter le nombre d’individus testés dès le printemps 2018.
 Développer les initiatives pédagogiques en vue de mieux faire connaitre les différents aspects de la vie sur le massif du Bargy. Au lieu d’opposer les différents acteurs du massif du Bargy, nous avons là un cas d’interaction homme-nature qui pourrait donner lieu à des conférences, des panneaux pédagogiques, des parcours accompagnés ou encore de nouveaux sujets de recherche (représentations sociétales, services écosystémiques, résolution des conflits d’usage…). Nous pourrions nous associer à ces initiatives.
 Enfin, comme nous l’avons demand é pour le massif voisin des Aravis, réfléchir à un classement du massif du Bargy, espace remarquable de notre territoire où cohabitent des activités humaines intimement liées à la montagne et des espèces emblématiques comme le gypaète et les bouquetins. Et dans un premier temps, faire en sorte que le périmètre NATURA 2000 couvrant le massif du Bargy reprenne vie et se dote d’un plan de gestion pluriannuel dont il a bien besoin.

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