Les chiens de chasse ? « Ils sont nés pour ça ! » « La chasse ne fait qu’utiliser leur instinct naturel. » Est-ce vraiment le cas ? D’où viennent ces races de chiens, utilisées pour repérer, courser, marquer l’arrêt, rapporter, voire tuer les animaux sauvages ? Issues de l’évolution naturelle ou artefacts créés par les hommes pour servir leurs viles passions ?

D’où viennent les chiens de rue ?

En regardant les chiens cherchant leur nourriture dans les décharges de Mexico, de Casablanca, ou Bombay, beaucoup d’entre nous penseraient : « ce sont des chiens de rue, des bâtards, des croisés ». L’idée sous-jacente est que les chiens de race sont les ancêtres des chiens de village. De nombreuses personnes ont tendance à penser que si un chien ne ressemble pas à un chien de race d’une société canine, alors c’est un hybride ou un bâtard.
En réalité, les races de chiens sont issues d’une sélection génétique artificielle pratiquée par l’homme.

Avant 1861, l’absence d’uniformité

En 1755, Buffon, célèbre scientifique naturaliste, écrivait que « dans un même pays, un chien diffère beaucoup d’un autre, et entre les climats, les espèces semblent changées. De ce fait, le nombre et le mélange des races sont si grands qu’il est presque impossible de les reconnaître ou de les énumérer¹».
« Les variétés de chien sont extrêmement nombreuses et, comme elles sont apparemment produites par les croisements, il y a à peine de limite au nombre qui peut être décrit2», note un des auteurs les plus connus en Angleterre en 1859. Les termes utilisés sont « variété de chien », « sorte », « type »,
« tribu », « race ». « À l’intérieur de ces groupes, la variation de forme était normale et attendue, avec des étendues de taille, couleur et autres caractéristiques. La fonction du type de chien était liée à la forme, avec des capacités, un caractère et un tempérament caractéristiques (…) Il n’y avait pas d’attente d’uniformité dans les variétés³.»

Les races de chien, une création récente pour fixer artificiellement des caractéristiques qu’on fait ensuite passer pour « naturelles »

« La “fixation” des caractères, indissociable de la notion de standard, n’est réellement apparue qu’à partir du XVIe siècle pour les chiens de chasse. Elle s’est poursuivie aux XVIIe et XVIIIe siècles avec un essai sur l’arbre généalogique des races de Buffon et, surtout au XIXe siècle, avec l’essor de la cynophilie (passion pour les chiens NDLR), consacrée par les premières expositions canines de Londres en 1861, puis de Paris en 1863⁴». Une classe moyenne citadine s’est développée et a pris le chien comme animal de compagnie. S’en est suivie la recherche de critères esthétiques, alors que les races plus anciennes étaient davantage sélectionnées selon l’utilité des animaux, pour la conduite des troupeaux, la garde ou la chasse.
Les variations à l’intérieur d’une race ont ensuite diminué, avec de plus en plus de chiens qui se rapprochaient du standard de la race, créant une uniformité. Le standard lui-même demeurait en évolution selon les types de chien, mais le principe de l’uniformité par rapport au standard se maintenait⁵.
Au XIXème siècle, l’idée de progrès comme domination et maîtrise de la nature était importante, et développer des races de chien était en accord avec la pensée ambiante. Des chiens relativement proches étaient croisés ensemble pour sélectionner des génotypes et phénotypes spécifiques. Il ne faut en effet pas plus de 5 à 8 générations de chien, soit quelques dizaines d’année seulement, pour parvenir à des races ayant les caractéristiques recherchées, exprimant certains gènes au détriment des autres.

L’exposition internationale de 1915 présente les races de chien existant à cette époque

On cherchait à « améliorer les races7 », comme l’écrit encore aujourd’hui la Société Centrale canine. En termes plus basiques, on peut dire qu’on cherchait à maîtriser la génétique des animaux pour livrer des caractéristiques correspondant à ce qui était recherché : le flair, l’endurance, la taille des animaux, l’aboiement etc. pour les chiens de chasse par exemple. Ainsi, dire que les setters marquent naturellement l’arrêt revient à constater que les sélections génétiques pour fixer cette caractéristique chez cette race de chien ont bien fonctionné.
Les races de chiens de chasse ont permis et permettent toujours d’asservir les animaux en remplaçant les caractéristiques et l’instinct naturel par les caractéristiques et l’instinct de la race.
C’est comme si on avait croisé ensemble dans un groupe d’athlètes les marathoniens avec les marathoniens, les sauteurs en hauteur avec les sauteurs en hauteur et les lanceurs de marteau avec les lanceurs de marteau. Au bout de plusieurs générations, le résultat correspond à des types d’hommes et de femmes spécialement adaptés à courir le marathon, sauter en hauteur, lancer le marteau.
Il n’est pas surprenant dans ces conditions que des chercheurs américains, spécialistes des études génétiques, aient récemment pu identifier chez les chiens de chasse des gènes très spécifiques expliquant leurs performances sportives, y compris la fonction cardiaque, l’appareil musculaire, les fonctions neurologiques⁷.
« La différence entre avant et après les races peut être comparée à la manière dont les couleurs apparaissent dans un arc-en-ciel et dans une sélection des couleurs pantone. L’arc-en-ciel a différentes couleurs mais elles se mélangent entre elles. La sélection de couleurs Pantone est un jeu de couleurs distinct, séparé et uniforme. Le faible nombre de races au début du XIXème siècle sont comme les 7 couleurs de l’arc-en-ciel alors que les 204 races maintenant reconnues par le Kennel club anglais (équivalent de la société canine française) sont comme autant de couleurs Pantone⁸.

Parmi les races de chiens de chasse, certaines sont plus anciennes et ont été améliorées au XIXème siècle, d’autres ont été créées après

Ainsi parmi les chiens anglais, qui sont dominants à la chasse, les Pointers, Setters et Spaniels sont des types de chiens déjà présents au début du XIXème siècle.
Au sein d’un type de chien, une grande variété existait. Par exemple, un auteur de l’époque écrivait à propos des Cockers (Spaniels) qu’il y a tellement de variétés « qu’il est impossible d’en donner une description spécifique⁹».
Comparé à son ancêtre espagnol, le Pointer anglais avait déjà été « amélioré ». La variété anglaise avait une forme, des jambes et des pieds très différents. Le chien choisi pour être le prototype du Pointer, un chien nommé Major, était exceptionnellement grand pour un Pointer, dans le but d’être plus efficace à la chasse10.
Le Retriever est apparu au XIXème siècle, en même temps que la chasse à la battue. Sa principale caractéristique devait être de ne pas abîmer le « gibier »11.
Le chien courant suisse (exemple le Lucernois) est apparu dans les années 1930.
Alors que le Braque allemand serait issu de croisements au Moyen Age, ses caractéristiques ont été fixées plus récemment, en 1897. Il aurait ensuite été croisé dans les années 1920 à 1930 avec le Doberman et le Pointer pour donner sa forme actuelle.

Les races ont multiplié les problèmes de santé chez les chiens

Basset Hound aujourd’hui

Les chiens trapus et longs, essentiellement les chiens courants, en offrent un bon exemple12.
Les races de chiens officiellement reconnues sont classées en 10 groupes distincts, eux-mêmes divisés en sections, créés en fonction des origines, des comportements et spécificités de chaque race. Les chiens trapus et longs, comme les chiens courants pour la chasse, sont sélectionnés pour leurs aptitudes morphologiques, olfactives, psychiques et de train (endurants et rapides). Sur les dix groupes, ils constituent le 6ème groupe, avec 74 races de chiens courants et de recherche au sang dans le monde. Les plus recherchés sont le Basset hound et le Beagle.
De nombreuses tares génétiques apparaissent, car la sélection dans les élevages se fait surtout sur des critères de race hyper typées avec une forte consanguinité.
On favorise à la fois des caractères recherchés mais on sélectionne aussi des allèles récessifs désavantageux pour l’espèce. Les maladies génétiques sont normalement rares mais si elles apparaissent, elles sont la plupart du temps dues à des allèles récessifs. Et si l’allèle dominant, dit « normal » est présent, la maladie ne s’exprime pas. Mais si seuls les allèles déficients récessifs sont présents, l’anomalie génétique s’exprime et l’individu ne pourra transmettre à sa descendance que cet allèle déficient. En résumé, si les caractères recherchés deviennent fréquents, il en est de même pour les maladies génétiques dont l’origine est la présence unique d’allèles déficients (on dit que l’individu est homozygote pour un gène). Parmi les problèmes génétiques les plus souvent rencontrés chez les chiens de chasse, celui des chiens courants est récurrent.Les chiens courants ont une homogénéité de type morphologique. Ils souffrent de pathologies du squelette (retrognathisme, dépassement de la mandibule) et d’affections de l’oeil et de l’oreille.
Le bassetisme, raccourcissement du corps par rapport au modèle original, est dû à des mutations génétiques qui modifient le développement des os pendant la vie intra-utérine : cette pathologie s’appelle l’achondroplasie. La sélection a fixé ce caractère pathologique chez les Bassets.

Le Basset hound, en raison de sa morphologie particulière, de ses longues oreilles et de ses yeux tombants, est sujet à la dysplasie du coude et de la hanche13, à des problèmes oculaires (entropion, ectropion : enroulement des paupières qui entraine des conjonctivites, glaucomes, cataractes), à des otites dues à un manque d’aération des oreilles, des chondrodysplasies, des hernies discales et des hernies inguinales.

Teckel aujourd’hui

Le Basset artésien présente de l’anxiété paroxystique avec des troubles cardio-pulmonaires de transmission héréditaire.
Le Beagle souffre lui aussi des complications liées aux déformations du squelette de ces races achondroplasiques. Il est souvent sujet à des crises d’épilepsie, et la hernie ombilicale et la sténose pulmonaire sont fréquentes.
L’évolution du dernier siècle a accentué certaines caractéristiques comme le bassetisme chez le Basset hound et le Teckel, qui appartiennent au 4ème Basset hound groupe de chiens de race 14.

Quelles solutions pour les chiens de race ?

Force est de constater que les sélections des races diminuent la santé, le confort et l’espérance de vie de ses compagnons.
Au minimum, réduire les problèmes de santé
La sélection des races doit être durable, en tenant compte de la diversité génétique et en empêchant les problèmes liés à l’hérédité.
Certains pays l’ont déjà pris en compte.
La loi norvégienne sur le bien-être animal stipule que la sélection des races doit conduire à des animaux robustes et en bonne santé. La sélection des races ne doit pas être utilisée pour :
– changer les traits héréditaires en affectant les fonctions physiques ou mentales des animaux de manière négative, ou poursuivre une sélection qui a développé ces traits,
– diminuer la capacité de l’animal à avoir un comportement normal. Les animaux diminués ne doivent pas pouvoir se reproduire.
Dans la Déclaration Universelle des droits de la Terre-Mère, rédigée en Bolivie en 2008, chaque être vivant a le droit « de ne pas être génétiquement modifié ou transformé d’une façon qui nuise à son intégrité ou à son fonctionnement vital et sain » (article 2).
Cette même idée est reprise par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’animal, rédigée par la Ligue Française des Droits de l’Animal (LFDA) : « Aucune manipulation ou sélection génétique ne doit avoir pour effet de compromettre le bien-être ou la capacité au bien-être d’un animal sensible. »

 

Notre demande

Introduire dans le Code rural, sur le modèle de la loi norvégienne, des limitations à la sélection génétique engendrant les races de chiens. La sélection des races de chien ne doit pas être utilisée pour :
– changer les traits héréditaires en affectant les fonctions physiques ou mentales des animaux de manière négative, ou poursuivre une sélection qui a développé ces traits,
– diminuer la capacité de l’animal à avoir un comportement normal. Les animaux diminués ne doivent pas pouvoir se reproduire.
Chez les chiens de chasse, stopper les naissances des races de chiens courants, les plus touchés, par exemple.
Systématiser le dépistage des chiens en mauvaise santé du fait de problèmes génétiques, de manière à les empêcher de se reproduire.

 

Dernière minute

Un article du Journal La chasse d’octobre 2019 confirme tout à fait nos dires sur les chiens de chasse

Il s’agit d’une revue écrite par des chasseurs pour des chasseurs.

L’article s’intitule « Sommes-nous à la hauteur de nos chiens ? ».

« si un très grand nombre d’entre nous avons une excellente attitude vis-à-vis de nos chiens, cela n’empêche pas d’observer sur le terrain des choses parfaitement condamnables et indignes[…] la plupart de nos contacts ont préféré témoigner anonymement,[….]ce qui en dit long sur la sensibilité à ce sujet. »

« Dans le monde du chien courant, est pointé de manière récurrente le fait que les chiens sont devenus, notamment avec les meutes dédiées au sanglier, « de véritables consommables » à durée de vie limitée. En cause, les affrontement avec le sanglier qui causent de lourdes pertes. Selon Fabrice « les piqueux* recherchent des chiens « de contact » que la sélection a rendu globalement peu prudents et qui favorisent le ferme * parfois un peu pour le plaisir du spectaculaire ». Sur le terrain, cela se traduit par des chiens mutilés dont bon nombre chaque année ne se relèvent pas et une espérance de vie globale des chiens de sanglier très réduite… » Le même Fabrice cité dans l’article constate des meutes mal nourries,  ou mal soignées. Il renchérit : « on ne peut pas nourrir une meute avec des carcasses de poulets récupérés auprès des abattoirs ».

Un autre témoin Julien, chasseur gardois « déplore de voir des chiens peu entrainés [au moment de la chasse ] après 7 mois de chenil sans sorties, qui attaquent la chasse dans un état physique déplorable »

A propos des chiens d’arrêt, l’auteur de l’article note « la course à la performance et la recherche de chiens de issue de champions trialers montre aussi ses limites, toujours au détriment du chien. Les setters anglais en sont un bon exemple. En raison d’une sélection qu’impose un rythme contestable recherché en field *, ils deviennent souvent très nerveux, psychologiquement instables, voire fragiles, une fois remis dans les mains des chasseurs qui confondent hélas de plus un être vivant et un outil . Et quand ces chasseurs pressés d’obtenir un chien efficace ont entre leur mains des colliers électriques ils achèvent de « blinker »* des chiens dégoûtés de la chasse dont ils se débarrassent âgés de quelques mois à peine au motif  « qu’ils n’arrêtent pas », relate Laurent Pagouapé, dresseur de chiens d’arrêts. Cela est lamentable et pourtant bien réel.  Combien d’excellents chiens payent de leur vie la médiocrité de leur maître ? »

L’auteur de l’article appelle les chasseurs à être vigilants quand ils voient ces situations au cours des chasses.

‘* les piqueux mènent les meutes de chien. « le ferme »=le contact avec les sangliers, « en field » sans doute en plaine, « blinker » avec les colliers électriques les chasseurs envoient des décharges électriques au chien

Sources

(1) The invention of the modern dog. Michael Worboys, Julie-Marie Strange, Neil Pemberton. John Hopkins University Press. 2018. Traduction Animal Cross – p. 2
(2) The invention of the modern dog. Michael Worboys, Julie-Marie Strange, Neil Pemberton. John Hopkins University Press. 2018. Traduction Animal Cross – p. 52
(3) The invention of the modern dog. Michael Worboys, Julie-Marie Strange, Neil Pemberton. John Hopkins University Press. 2018. Traduction Animal Cross – p. 26
(4) https://www.wikichien.fr/tout-sur-mon-chien/encyclopedie-du-chien/les-chiens-dhier-a-aujourdhui/origines-evolution-chien/
(5) The invention of the modern dog. Michael Worboys, Julie-Marie Strange, Neil Pemberton. John Hopkins University Press. 2018. Traduction Animal Cross – p. 87
(6) La race est une «population animale prise au sein d’une espèce, caractérisée par un génotype moyen particulier conduisant à la manifestation d’un phénotype intéressant la morphologie (conformation), la robe et une certaine tendance d’aptitude (physiologie et psychologie) pouvant varier en fonction des conditions de milieu dans lequel sont exploités les animaux» (Théret, 1981).
(7) https://www.pnas.org/content/115/30/E7212
(8) The invention of the modern dog. Michael Worboys, Julie-Marie Strange, Neil Pemberton. John Hopkins University Press. 2018. Traduction Animal Cross – p. 2
(9) The invention of the modern dog. Michael Worboys, Julie-Marie Strange, Neil Pemberton. John Hopkins University Press. 2018. Traduction Animal Cross – p. 44
(10) The invention of the modern dog. Michael Worboys, Julie-Marie Strange, Neil Pemberton. John Hopkins University Press. 2018. Traduction Animal Cross – p. 83
(11) The invention of the modern dog. Michael Worboys, Julie-Marie Strange, Neil Pemberton. John Hopkins University Press. 2018. Traduction Animal Cross – p. 45
(12) Thèse vétérinaire Alain Mondon, 2001, Université de Toulouse
(13) Voir aussi le site scientifique anglais https://www.ufaw.org.uk/dogs/basset-hound-elbow-dysplasia
(14) https://dailygeekshow.com/races-chiens-evolution/5/

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