Impacts sur l’environnement, la faune sauvage et la santé humaine, cadre réglementaire et alternatives.
La grenaille utilisée pour la chasse dans les zones terrestres contient du plomb. Bien qu’interdite dans les zones humides, la dispersion passée et actuelle de billes de plomb persiste des dizaines, voire des centaines d’années. Le plomb est aussi présent dans les balles pour le grand gibier. Les effets sur la santé des animaux sauvages et des humains sont considérables, mais difficiles à percevoir : l’empoisonnement au plomb de chasse est une « maladie cachée »[1].
Des tonnes de plomb déversées chaque année
Chaque année en Europe, selon l’ECHA, 30 000 à 40 000 tonnes de plomb sont utilisées dans des munitions de types variés. 21 000 tonnes sont utilisées par les chasseurs ; environ 7 000 tonnes sont dispersées dans les zones humides et 14 000 tonnes sur la terre ferme[10]. La France, qui compte ~20 % des 5,2 millions de chasseurs européens[2], représenterait à elle seule près de 2 800 tonnes utilisées chaque année sur la terre ferme.
30–40 000 T de plomb munitions/an en Europe14 000 T déposées sur sols terrestres7 000 T déposées en zones humides2,8 000 T estimées/an en France (terre ferme)
Le plomb n’étant pas biodégradable, la grenaille se délite, s’oxyde, s’érode ou s’enfouit, mais demeure accessible et biodisponible pendant des décennies, voire des centaines d’années. Des études de terrain montrent des niveaux élevés dans des sites chassés (ex. étangs du Parc naturel régional de la Forêt d’Orient)[3], ou encore sur le col de Lizarrieta (Natura 2000) où des champignons dépassent de 4 à 14 fois les seuils autorisés[4]. Au delta de l’Èbre (Espagne), malgré l’interdiction de la grenaille de plomb depuis 2001, on relevait encore en 2014 97 à 266 grenailles/m² dans les 20 premiers centimètres de sédiments[5].
La réintroduction en 2024 de la chevrotine (gros plomb à courte distance) lors de battues dans de nombreux départements accroîtrait mécaniquement la pollution liée à la grenaille, principal vecteur de saturnisme aviaire.
Impacts sur la faune et la chaîne alimentaire
L’accumulation de plomb dans les compartiments du milieu naturel engendre des problèmes sanitaires majeurs. Chez les oiseaux d’eau, l’ingestion accidentelle de billes avec l’alimentation est documentée : par exemple, 6 billes ingérées le matin peuvent être totalement solubilisées le soir et passées dans le sang, avec une absorption jusqu’à 20 fois plus rapide avec des grains durs (ex. maïs) qu’avec des aliments « mous »[6].
Mortalité estimée chez les canards selon le nombre de billes ingérées
| Plombs ingérés | Mortalité |
|---|---|
| 1 | 9 % |
| 2 | 25 % |
| 3 | 67 % |
| 4 | 99 % |
Données sur 20 jours d’ingestion chez les canards [7].
Chaîne détritique : vautours et charognards
Les charognards (vautours notamment) consomment les dépouilles et viscères abandonnés après une chasse de grand gibier. Les balles (souvent à cœur de plomb) fragmentent à l’impact, disséminant des particules microscopiques dans les tissus. Le risque de saturnisme est alors élevé pour ces espèces nécrophages, avec des cas documentés en Espagne et en France.
Faune chassée et résidus dans la viande
Au-delà des oiseaux, des teneurs notables en plomb diffus sont retrouvées dans les muscles de sangliers et cervidés (différents du plomb « environnemental » davantage stocké dans le foie), en lien avec la fragmentation balistique[8]. Le cœur de nombreuses balles reste en plomb.
Exposition humaine via la venaison
Des fragments de plomb se dispersent largement dans les tissus sous forme de particules micro- voire nanoscopiques ; parer généreusement autour de la plaie ne suffit pas à éliminer tout le plomb potentiellement absorbable par le consommateur[10]. Le plomb est un puissant neurotoxique et suspect perturbateur endocrinien pouvant allonger le délai de conception[9].
Selon l’ECHA, en Europe, environ 1 million d’enfants sont exposés à des effets toxiques du plomb via la viande de gibier et les articles de pêche ; réduire la consommation de venaison chez les enfants pourrait éviter une baisse de QI chez ~7 000 d’entre eux[10].
En France, l’Anses (2018) recommande :
- femmes en âge de procréer et enfants → éviter toute consommation de grand gibier sauvage ;
- autres publics → limiter à une fréquence occasionnelle (ordre de trois fois par an)[11].
Réglementation : où en est-on ?
En France, l’usage de grenaille de plomb est interdit en zones humides et à 30 m alentour (arrêté du 9 mai 2005), renforcé au niveau européen depuis février 2023 avec une interdiction dans les 100 m autour des zones humides (Règlement UE 2021/57). La Convention de Bonn (2014, Quito) appelle à la fin du plomb pour la chasse sous 3 ans.
L’agence chimique européenne (ECHA) a proposé une suppression des grenailles de plomb pour la chasse dans un délai dès 2021 [12]. En février 2025, la Commission européenne , suivant les recommandations de l’ECHA, a proposé un plan pour modifier la réglementation REACH et éliminer à terme le plomb dans les munitions pour la chasse.
Des alternatives existent
Pour la grenaille, la première alternative est l’acier — de coût proche du plomb mais plus léger (compensation par taille de grenaille). D’autres options : tungstène, cuivre, bismuth (souvent plus onéreux). Le fer, le tungstène et l’alliage bismuth‑étain sont reconnus non toxiques en Amérique du Nord[13].
Pour les balles, des projectiles en cuivre ou alliages de cuivre offrent une efficacité comparable[14]. La transition peut impliquer la mise à niveau d’armes anciennes, ce qui ne saurait justifier des subventions publiques massives à l’échelle demandée par certaines organisations.
Sources
- Proceedings of the Oxford Lead Symposium (2014) – Lead Ammunition: understanding and minimising the risks to human and environmental health, p. 127.
- Foucart, S. (2018). « Les munitions au plomb menacent l’environnement et la santé ». Le Monde, 13/09/2018. lien.
- Gautier, C. (Pôle ZH I) – Étude des micropolluants des étangs du PNR de la Forêt d’Orient (Courrier scientifique n° 30). (réf. pôle‑zhi.org).
- Association CPAL (2023). Rapport sur la présence de plomb (zone Natura 2000 col de Lizarrieta).
- Loury, R. (2014). « Le chasseur moins exposé au plomb » ; données citées par Mateo Soria et al. (IREC, Ciudad Real).
- Conservation‑nature – « Pollutions par les munitions ». lien.
- OPECST (2001). Rapport n° 261 « Les effets des métaux lourds sur l’environnement et la santé ». lien. Cité par A. Meignie (2023).
- ANSES – Avis « Risque sanitaire lié à la consommation de gibier … » (cadmium, plomb, etc.). PDF.
- Bied Damon, V. & Mirakian, P. – Environnement et infertilité (MSD). lien.
- ECHA – Dossier restriction « Lead use » : exposition via venaison et pêche. lien.
- ANSES (23/03/2018). « Consommation de gibier sauvage : agir pour réduire les expositions… ». lien.
- ECHA/NR/21/07 – Towards sustainable outdoor shooting and fishing – ECHA proposes restrictions on lead use.
- Proceedings of the Oxford Lead Symposium (2014), p. 128 – matériaux non toxiques (fer, tungstène, bismuth‑étain) reconnus en Amérique du Nord.
- Solognac – « Le sans plomb : le futur de nos balles de chasse ». lien.


