“Le scénario de 2012 se répète, mais cette fois sans atteinte à l’homme : les tests sérologiques effectués périodiquement sur les élevages bovins ont mis en évidence le 12 octobre 2021 qu’une vache d’un élevage de Saint-Laurent (Haute-Savoie) était atteinte par la Brucellose (souche Brucella melitensis). Les 219 vaches de l’élevage, ainsi que les quelques veaux nés depuis le test, sont dès lors condamnés à l’abattoir, comme le prévoit une loi européenne datant de 2020.
Le lien avec la persistance de la brucellose dans la faune sauvage (1) du massif du Bargy est de nouveau suspecté ; ce sera confirmé par une analyse génomique en novembre 2021 (2), qui conclut à une proximité avec les souches prélevées en 2012, et celles présentes dans la population de bouquetins du Bargy. L’abattage massif du cheptel bovin est unanimement dénoncé, aussi bien par des organisations agricoles (bien qu’ayant participé à l’élaboration de ces lois dans le cadre des GDS Groupements de Défense Sanitaire) que par les associations de protection de la nature (3). Bien entendu, Animal Cross est opposé à cet abattage massif, et comprend la détresse de l’éleveur.
Cette situation provoque l’émoi des syndicats agricoles, tout particulièrement de la FDSEA et des JA, ainsi que de la chambre d’Agriculture Savoie – Mont Blanc, qui demandent, dans un communiqué de presse daté du 22 novembre 2021 (4), l’éradication des bouquetins du Bargy, comme ils l’ont fait avec constance depuis 2012. Au passage, ils dénoncent « l’approche » des associations de protection de la nature, FNE Haute-Savoie et Animal Cross en tête. C’est en effet Animal Cross qui a obtenu pour trois ans, en Août 2020, auprès du tribunal administratif de Grenoble, la suspension de l’abattage indiscriminé de bouquetins sur le massif du Bargy. Des éleveurs iront jusqu’à déverser du fumier et des pneus devant les locaux de FNE à Pringy, où seule la présence de la Gendarmerie a pu empêcher toute violence physique. Ces groupements dénonceront même « le comportement irresponsable « de l’Etat. Ils exercent une pression grandissante sur les services de la Préfecture de Haute-Savoie,
sur l’OFB et aussi par moyens de presse, afin de parvenir à l’éradication souhaitée.
Pourtant, dans son avis du 30 novembre 2021, un document d’analyse très complet de 39 pages (2), l’ANSES (Agence Nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) envisage six scenarii, qui vont du scénario 0 « ne rien faire «, jusqu’au scénario 6 « éradiquer les bouquetins du Bargy «, en passant par la possibilité de capturer, tester, éliminer tout en effectuant des tirs, avec différentes variantes, comme cela a été fait les années passées.
Ce qui est troublant dans cette analyse, c’est la projection à 10 ans en termes populationnels et épidémiologiques, réalisée à l’aide d’un outil de modélisation des scenarii qui simule dix itérations (en 1000 simulations).
• Le scénario 0 (ne rien faire) conduit à une probabilité de 17% qu’après 10 ans la maladie soit éteinte, et à une séroprévalence en 2030 de 20% (c’est-à-dire à un pourcentage de 20% des bouquetins atteints par la maladie),
• Le scénario 6 (tous les exécuter) conduit à une probabilité de seulement 40% qu’après 10 ans la maladie soit éteinte, et à une séroprévalence en 2030 de 2,2%, car il est en effet impossible de procéder à un abattage total. C’est « bien en-deçà de 100% (éradication certaine «, comme le conclut le rapport. Ce que l’on sait en revanche, c’est que la probabilité de dissémination de la brucellose vers d’autres massifs est alors importante.
Et bien entendu, les autres scenarii conduisent à des résultats intermédiaires. Ces simulations montrent qu’aucun scénario, même le plus radical, ne va conduire à l’éradication de la maladie dans la population de bouquetins. Ces projections devraient interroger nos décideurs politiques sur la pertinence de tout abattage, même discriminé, alors même que les mesures de biosécurité
(« barrières sanitaires « comme on dit aujourd’hui), recommandées depuis 2013 par l’ANSES et par le CNPN, n’ont toujours pas réellement été mises en place. De plus, c’est probablement un « intermédiaire « (2 page 8) qui transmet la maladie des bouquetins au cheptel domestique.
Ainsi notre proposition est la suivante :
• Pour les quelques élevages proches des zones fréquentées par les bouquetins, réaliser des contrôles périodiques réguliers sur les troupeaux domestiques (et placentas après les naissances), ainsi que sur les produits à risque destinés à la consommation que sont le lait ou les fromages à base de lait cru. Un contrôle positif, conduirait à l’indemnisation de l’éleveur pour ses animaux et la production perdue de lait et de fromage, mais ne devrait pas conduire à l’abattage de l’ensemble du troupeau
• Appliquer une ségrégation spatiale effective, c’est-à-dire à une séparation par parcage ou tout autre moyen, entre animaux domestiques et faune sauvage pour éviter les contaminations inter-espèces, même si elles sont très rares, ce qui a été maintes fois recommandé par l’ANSES.
• En parallèle, continuer un suivi des bouquetins par des observations visuelles de signes cliniques, mais aussi par des tests indirects de séropositivité, pour évaluer l’impact de l’arrêt des abattages sur la santé de la population de bouquetins. Les bouquetins présentant des signes cliniques, révélateurs de souffrance et de contagiosité certaine, pourraient alors être
euthanasiés.
• Demande d’une nouvelle étude de l’ANSES sur la stratégie vaccinale, même si cette situation du Bargy est unique en France. Des tests de vaccination pourraient être mis en place au sein de la population de bouquetins, avec évaluation de l’impact sur leur santé, sans risques de séroconversion au sein des troupeaux domestiques.
Et en des temps plus apaisés, nous pourrions demander un renforcement des contrôles sanitaires au sein des fermes concernées, d’une façon générale, puisque chaque année la production de Reblochon donne lieu à des retraits de produits dans toute la France pour raison d’Escherichia Coli, de Listeria et d’autres (5), pouvant être plus graves pour l’homme que la brucellose. Les nombreux
retraits de fromage et cas de maladie de ces dernières années devraient appeler à relativiser les très rares cas de brucellose transmise à l’homme. Mais aussi à ne pas faire de la faune sauvage l’unique variable d’ajustement, pour la simple raison qu’elle ne peut ni se défendre ni voter et n’a aucune capacité de nuisance.
(1) La brucellose dans la faune sauvage a le plus souvent son origine dans les troupeaux domestiques, et non l’inverse, cf. polycopié « La Brucellose animale « des Ecoles Nationales
Vétérinaires Françaises, Juin 2021 et dans “Mick V, Le Carrou G, Corde Y, Game Y, Jay M, et al. (2014) Brucella melitensis in France: Persistence in Wildlife and Probable Spillover from Alpine Ibex to Domestic Animals. PLoS ONE 9(4): e94168. doi:10.1371/journal.pone.0094168” page 2.
(2) Avis de l’ANSES du 30 novembre 2021 relatif à « l’évaluation de l’efficacité de différents scénarios de lutte contre la brucellose dans les populations des bouquetins dans le massif du Bargy »
(3) CP FNE Haute-Savoie https://www.fne-aura.org/communiques/haute-savoie/brucellose-une-strategie-sanitaire-a-moderniser/
(4) CP de la FDSEA du 22 novembre 2021, sorti du Web depuis lors
(5) Par exemple https://www.lci.fr/societe/reblochon-contamine-enquete-ouverte-apres-le-deces-suspect-d-un-enfant-la-liste-des-produits-rappeles-2089156.html