Suite des vidéos d’Animal Cross sur la faune sauvage et les aires protégées en France. Dans le premier épisode, nous découvrions que moins de 1 % du territoire français protège réellement la faune et la flore, essentiellement dans les cœurs des parcs nationaux, c’est pourquoi il est nécessaire d’augmenter les surfaces protégées et leur degré de protection. Pourquoi est-il si important de laisser la nature évoluer librement ? Que devient la nature lorsque l’homme n’intervient pas ?
Interview de Jean-Claude Génot, écologue, membre des JNE (Journalistes-écrivains pour la Nature et l’Ecologie) et vice-président de Forêts Sauvages, et de Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, fondateurs de l’association Forêts sauvages dont ils sont respectivement président et vice-présidente. Tous deux agrégés de l’Université, experts au Conseil scientifique régional du patrimoine naturel et, par-dessus tout, naturalistes de terrain passionnés. Gilbert est aussi attaché au Muséum national d’histoire naturelle.

Interview :

JC Génot : Si on laisse un milieu en libre évolution en France, même une terre agricole, inévitablement elle redeviendra une forêt parce qu’on est en climat tempéré qui permet aux arbres de pousser assez facilement. Vous aurez forcément une colonisation qui peut être longue, qui peut durer des décennies où vous aurez des blocages dus à la concurrence entre les herbes qui ont poussé là et les semis de certains arbres qui vont avoir du mal à se développer. Mais la forêt est la plus forte, elle revient. Tout simplement par l’effet du vent, on appelle cela un chablis (un arbre renversé par le vent).  Il y a un puits de lumière et les semis poussent. La banque de graines dans le sol permet à d’autres essences de venir, de profiter de la lumière, comme le boulot, le pin, selon la qualité et la nature de sols, etc. Parfois le vent est beaucoup plus fort, on a connu cela en 1999. Les dégâts ont été très importants en arbres abattus parce que les forêts étaient cultivées de manière très régulière, un petit peu comme un champ d’arbres. Quand vous avez tous les arbres qui sont pratiquement du même diamètre, du même âge, et sans stratification verticale, c’est-à-dire sans arbuste qui peuvent freiner le vent, les arbres tombent comme dans un château de cartes.

Pourquoi pensez-vous important de laisser des espaces en libre évolution ?

JC Génot : On a beaucoup de choses à apprendre de ces milieux notamment face à ce qui se présente à nous, c’est-à-dire un défi énorme face à des changements globaux, les changements climatiques en particulier. Il est important de savoir exactement comment la nature peut réagir face à des conditions extraordinaires : des sécheresses, des aléas climatiques, des pathogènes, etc.  L’idée en écologie, et c’est vérifié, est que plus un milieu est diversifié, plus il est résistant et résilient, c’est-à-dire capable de revenir à son état initial d’avant la perturbation.

 

Pouvez-vous donner un exemple de cette résistance et de cette résilience de la nature ?

Béatrice Kremer Cochet : Je prends l’exemple d’un Parc National en Bavière, sur lequel il y avait des scolytes, des insectes qui pondent leurs œufs sous les écorces, les larves mangent le bois et dans certains cas cela peut entrainer le dessèchement de l’arbre. Les allemands ont pris le parti très courageux de ne rien faire. Il y a eu une extraordinaire résilience de la nature. Petit à petit, des espèces résistantes se sont développées, le fait de ne pas enlever les arbres morts a été plus bénéfique que ce qu’on imaginait. Juste à côté, en République Tchèque, ils ont pris le parti inverse, à chaque fois qu’il y avait des arbres morts, ils ont fait des coupes, et on s’est rendu compte que dans ces endroits-là, il y avait beaucoup plus de problèmes que chez les allemands.

Gilbert Cochet : On s’est rendus compte que dans un arbre mort tué par les scolytes, il y a plein de cavités et dans ces cavités, le prédateur du scolyte vient s’installer. Si on coupe l’arbre, il n’y a plus de prédateur du scolyte !

 

Où trouver des exemples de la nature en libre évolution, sans chasse ni pastoralisme ?

Béatrice Kremer Cochet : Un des plus beaux exemples en Europe, c’est le Parc National Suisse. Il a été créé en 1914, il y a plus d’un siècle. ça a été le premier parc national en Europe où on a vraiment appliqué une protection. Au jour où le parc national a été créé, il n’y a plus eu de pâturages, plus de pastoralisme, toute coupe de forêt et toute chasse à l’intérieur du Parc National suisse. Maintenant, avec un siècle de recul, on se rend compte des effets positifs de ce Parc national. Cela nous a apporté beaucoup d’éléments de réponse par rapport à des questions qu’on se posait. Il y en a une que même certains écologues se posaient était : si on supprime le pastoralisme, ne va-t-il pas y avoir une fermeture du milieu ? Or là, on voit que 1 siècle après, on a encore de très belles clairières qui sont extrêmement bien fleuries et qui sont entretenues par les ongulés sauvages comme les chamois, les cerfs, etc. Ce qui est intéressant dans la libre évolution, c’est qu’on a des surprises, parfois des belles surprises.

 

Le ré ensauvagement peut-il venir au secours de l’humanité ?

Béatrice Kremer Cochet : Le ré ensauvagement, on peut le voir comme des solutions pour résoudre un certain nombre de problèmes. La nature nous apporte des solutions gratuites pour lutter contre le réchauffement climatique, elle nous apporte des solutions gratuites pour purifier l’eau, cela permet aux gens de gagner du pouvoir d’achat car ils vont payer leur eau moins cher car il y a moins de traitements à faire pour la rendre potable parce qu’elle l’est déjà grâce à l’action des arbres. La nature ré ensauvagée, c’est retrouver les grandes fonctionnalités du milieu parce qu’on va le laisser évoluer librement. Ces grandes fonctionnalités du milieu nous apportent des solutions qui vont dans le sens de plus de bien-être pour l’espèce humaine, d’une meilleure santé et également de certaines solutions économiques.

Et puis il faut protéger la nature au maximum pour pouvoir retrouver la proximité. Il n’est pas normal que le chevreuil s’échappe dès qu’une silhouette humaine arrive à 500 mètres. Il détale car il n’a qu’une peur, c’est qu’on lui mette une balle dans la tête ! Il faut retrouver la proximité, on a besoin de cette proximité en tant qu’espèce humaine !

 

 

Print Friendly, PDF & Email